En médecine, il est d’usage de considérer les Anciens comme des charlatans qui ne connaissaient que les sangsues, les lavements, et le clystère.

En réalité, le fait même de n’avoir ni antibiotiques, ni systèmes sophistiqués d’imagerie médicale, obligeait les médecins d’autrefois à développer un immense sens de l’observation, qui s’est aujourd’hui largement perdu.

Ce sens de l’observation les a conduits à faire de très intéressantes constatations sur l’alimentation, et ses effets sur la santé.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ». Cette fameuse citation, mille fois recyclée, est du célèbre gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin, un homme de loi qui participa aux Etats-Généraux de 1789, et qui publia en 1825 des « Méditations de Gastronomie Transcendante ».

Brillat-Savarin, contrairement à nombre de diététiciens modernes, avait vu que les produits qui font grossir ne sont pas les graisses, mais les céréales, féculents, farineux, sucres, en un mot, les glucides.

Voici donc, le régime qu’il conseillait pour grossir. Cela peut sembler étonnant aux personnes qui cherchent désespérément à perdre du poids, mais certains ont besoin de grossir. Pas de prendre du ventre, bien sûr, mais gagner en masse musculaire. C’est pourquoi le régime de Brillat-Savarin recommande à la fois une forte consommation de glucides, mais également des protéines (œufs, viande) et bien sûr de l’activité physique :

Comment grossir : la méthode de Brillat-Savarin

  • Règle générale : on mangera beaucoup de pain frais, et fait dans la journée ; on se gardera bien d’en écarter la mie.
  • On prendra, avant huit heures du matin, et au lit, s’il le faut, un potage au pain ou aux pâtes, pas trop copieux, afin qu’il passe vite, ou, si on veut, une tasse de bon chocolat.
  • A onze heures, on déjeunera avec des œufs frais, brouillés ou sur le plat, des petits pâtés, des côtelettes, et ce qu’on voudra ; l’essentiel est qu’il y ait des œufs, la tasse de café ne nuira pas.
  • Après le déjeuner, on fera un peu d’exercice : les hommes, si l’état qu’ils ont embrassé le permet, car le devoir avant tout : les dames iront au bois de Boulogne, aux Tuileries, chez leur couturière, chez leur marchande de modes, dans les magasins de nouveautés, et chez leurs amies, pour causer de ce qu’elles auront vu. Nous tenons pour certain qu’une pareille causerie est éminemment médicamenteuse, par le grand contentement qui l’accompagne.
  • A dîner, potage, viande et poisson à volonté ; mais on y joindra les mets au riz, les macaronis, les pâtisseries sucrées, les crèmes douces, les charlottes, etc. Au dessert, les biscuits de Savoie, babas et autres préparations, qui réunissent les fécules, les œufs et le sucre.
  • On boira de la bière par préférence, sinon des vins de Bordeaux ou du midi de la France.
  • On fuira les acides, excepté la salade qui réjouit le cœur. On sucrera les fruits qui en sont susceptibles ; on ne prendra pas de bains trop froids ; on tâchera de respirer, de temps en temps l’air pur de la campagne ; on mangera beaucoup de raisin dans la saison ; on ne s’exténuera pas au bal, à force de danser.
  • On se couchera vers onze heures dans les jours ordinaires et pas plus tard qu’une heure du matin dans les extra. (1)

Les conseils de Brillat-Savarin se résument donc en une phrase : pour grossir, mangez des céréales et tous les aliments qui contiennent beaucoup de sucre (l’alcool est un produit de transformation du sucre), des protéines, et faites de l’exercice.

A noter ce fait remarquable : la question des graisses alimentaires est pratiquement absente de son propos !

Se méfier des farineux et sucres : une longue et sage tradition

Brillat-Savarin n’avait pas tiré de son chapeau ces sages conseils : c’était des principes communément admis, que l’on retrouve un peu partout dans la littérature médicale jusqu’à la fin des années 1960, et d’ailleurs dans la littérature tout court.

Pas plus tard qu’hier soir, je suis tombé par hasard sur les lignes suivantes dans Anna Karénine, de Tolstoï (que je vous recommande de toute urgence, si vous avez la chance de ne pas l’avoir déjà lu) :

« Le jour des courses de Krasnoïe Selo, Vronski vint plus tôt que d’habitude manger un bifteck au mess des officiers. Il n’avait pas besoin de s’observer trop sévèrement, car son poids atteignait juste les quatre pounds et demi imposés ; mais il ne fallait pas non plus grossir, aussi évitait-il les farineux et les douceurs. » (Anna Karénine, 1977, 2e partie, chapitre 19).

Le site lanutrition.fr publie une longue chronologie, de Brillat-Savarin jusqu’au Docteur Robert Atkins, en 1972, de tous les médecins qui recommandent de s’abstenir de manger des céréales et glucides, si l’on veut maigrir. (2)

Ainsi le Dr Jean-François Dancel en 1844, le Dr William Harvey en 1856, William Banting en 1862, le Dr Thomas Tanner en 1869, le Dr William Osler en 1901, le Dr Gardiner Hill en 1925, et des dizaines d’autres spécialistes de Stanford, Harvard, Chicago, Cornell : tous ont publié indépendamment des articles sur l’obésité et les moyens de la traiter. Tous ces régimes se ressemblent, et interdisent sodas, sucre, miel, sucreries, fruits au sirop, gâteaux, tartes, biscuits, pain, pommes de terre, pâtes, céréales du petit déjeuner, parce que formateurs de graisses malsaines dans l’organisme.

1970 : on tourne le dos à des centaines d’années d’expérience

Ce n’est qu’au début des années 70 que les nutritionnistes ont fait un virage à 180°, recommandant pour maigrir de manger « moins de gras » et de consommer « des féculents à chaque repas ».

Ces recommandations erronées, on le sait aujourd’hui, sont en partie responsables de l’épidémie d’obésité qui ravage les pays développés, ainsi que tous les pays qui se convertissent à notre mode d’alimentation, et ce d’autant plus que les populations, souffrant d’une fringale permanente liée au manque de graisse dans leur alimentation, se sont mises à consommer sans compter des snacks, sodas, biscuits et bonbons pour compenser leur mal-être.

Selon lanutrition.fr, « Ces recommandations, qui méconnaissent l’histoire de l’évolution humaine (absence totale d’une consommation de féculents au cours des 7 millions d’années d’histoire de l’humanité), mais aussi la physiologie (conversion en graisses des glucides à index glycémique élevé via une production importante d’insuline) et les données scientifiques récentes (études établissant sans équivoque l’intérêt de diminuer les aliments à index glycémique élevé), sont en partie responsables de l’augmentation ces dernières années des cas d’obésité et de diabète dans la population. »

Un repas recommandé par Brillat-Savarin

Enfin, pour faire taire les personnes qui craignent de ne plus avoir le droit de manger quoi que ce soit parce qu’on leur conseille de réduire la part de glucides dans leur assiette, voici un cas réel de menu recommandé par ce bon Brillat-Savarin.

Ne vous y trompez pas : aussi anti-diététique que puisse paraître ce repas aux yeux d’un moderne nutritionniste, la réalité est qu’il ne contient (presque) que des bonnes choses !

« Mes deux convives sourirent de plaisir quand ils virent la table prête, du linge blanc, trois couverts mis et à chaque place, deux douzaines d’huîtres avec un citron luisant et doré.

Aux deux bouts de la table, s’élevait une bouteille de vin de Soterne (sic), soigneusement essuyée, fors le bouchon, qui indiquait, d’une manière certaine, qu’il y avait longtemps que le tirage avait eu lieu. (…)

Après les huîtres qui furent  trouvées très fraîches, on servit des rognons à la brochette, une caisse de foie gras aux truffes, et enfin de la fondue (oeufs brouillés au fromage).

Après la fondue vinrent les fruits de la saison et des confitures, une tasse de vrai moka fait à la Dubelloy, dont la méthode commençait à se propager, et enfin deux espèces de liqueurs, un esprit pour déterger, et une huile pour adoucir. » (3)

Alors, elle n’est pas belle, la vie ?

A votre santé !!

Jean-Marc Dupuis

Découvrez en plus ici : https://www.santenatureinnovation.com/le-regime-pour-grossir-de-brillat-savarin/#HxJlU0Wi73Cat6dv.99

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