La première puissance agroalimentaire mondiale redécouvre les vertus du jeûne thérapeutique, après un siècle d’oubli. La recherche y foisonne mais rares sont les centres médicaux à proposer des cures encadrées. Voyage dans l’empire de l’obésité et des aliments ultra-transformés, où garder l’estomac vide pour préserver sa santé ne tombe pas sous le sens.

Plus qu’une mode, c’est devenu une obsession. À Hollywood comme à la Silicon Valley, le jeûne (« fasting ») est pratiqué à toutes les sauces. Le patron de Twitter se contente d’un repas par jour. Le fondateur de VaynerMedia, lui, ne mange que la nuit. Sur Youtube, des experts autoproclamés promettent un corps sculpté en un temps record grâce au jeûne intermittent combiné au « CrossFit », un sport intense. Ces pratiques extrêmes présentent des dangers que dénonce énergiquement le corps médical. On est bien loin du jeûne thérapeutique encadré, aux effets scientifiquement prouvés. Encore marginale, cette approche peine à trouver sa place dans l’empire des « big pharma » et du « fast-food ». D’ailleurs, à la différence de la Russie ou de l’Allemagne, le jeûne thérapeutique aux États-Unis n’est ni reconnu par les autorités, ni remboursé par l’assurance-maladie. Les travaux de recherches y foisonnent pourtant. Mais un siècle de guerre contre les médecines alternatives a sapé les débuts prometteurs d’une pratique en cours de réhabilitation.

42 Jours de jeûne et une guérison inattendue

Tout est parti d’expérimentations retentissantes qui ont défrayé la chronique en 1877. Sans se connaître, deux médecins américains ouvrent la voie. L’un sauve son fils de la diphtérie en mettant de côté les potions médicales et en ne lui faisant boire que de l’eau. L’autre survit à un jeûne de 42 jours, se débarrasse de douleurs chroniques et se soigne de problèmes cardiaques et gastriques. La nouvelle bouleverse les croyances médicales. Un humain pourrait donc survivre à une si longue diète, et s’en porter mieux ? Les partisans de l’allopathie crient à l’imposture et au danger mortel. Pour ces médecins rationalistes qui se fédèrent en puissante association, point de salut hors du scalpel et des médicaments. C’est ainsi que le jeûne, après une fulgurante popularité, se retrouve banni de l’arsenal thérapeutique, au même titre que l’homéopathie et l’ostéopathie.

Shelton, le premier pionnier

Après la première guerre mondiale, la médecine scientifique règne en maître de la Floride à la Californie. La route est dégagée pour l’industrie pharmaceutique qui met en branle ses chaînes de production.

Une voix dissonante s’élève pourtant, celle de Herbert Shelton, célèbre naturopathe et grand prosélyte du jeûne. Son ouvrage « The science and fine art of fasting » (la science et l’art du jeûne), publié en 1934, reste une référence. Élevé à la ferme, Shelton observe les animaux et remarque qu’ils cessent de se nourrir quand ils sont malades. Dans son cabinet new-yorkais, il préconise le jeûne aux désespérés du système médical, pendant plus de deux mois parfois, jusqu’au retour de la vraie faim. Ce qui lui vaut plusieurs séjours en prison pour exercice illégal de la médecine. Rien n’arrête Shelton, qui s’exile au Texas et poursuit son œuvre. Rhumatismes, allergies, asthme, typhoïde, appendicite… Il supervisera 35 000 jeûnes en 50 ans de carrière, sans un seul accident. Mais en 1978, catastrophe : un patient venu soigner une colite ulcéreuse décède. Shelton est condamné, ruiné. Fin de carrière.

Longo, la relève brillante

Il faut attendre Valter Longo, et son intuition géniale sur les liens entre jeûne et lutte contre le cancer, pour que le jeûne thérapeutique revienne sur le devant de la scène aux États-Unis. Le Pr Valter Longo, véritable rock star de la communauté du « fasting », se rêvait en guitariste adulé. Mais les mécanismes du vieillissement l’obsèdent. Longo devient biochimiste et connaît la gloire malgré tout : le magazine Time le désigne comme l’une des 50 personnes les plus influentes dans le champ de la santé en 2018. Inlassable chercheur, visionnaire, Longo a une certitude : « Notre alimentation est le plus important facteur de santé et de longévité que l’on puisse contrôler ». Les protéines animales et le sucre, accélérateurs du vieillissement, sont les ennemis désignés. En manger moins, et même ne plus rien manger parfois, c’est réveiller la capacité assoupie du corps à se régénérer et à s’auto-soigner. De quoi relativiser l’impact des prédispositions génétiques familiales.

L’homme qui a formé Longo, Roy Walford, avait montré que des souris soumises à une forte restriction calorique vivaient bien plus longtemps que celles nourries à volonté. Longo postule que le jeûne, combiné à la chimiothérapie, aide à lutter contre le cancer. Une cellule cancéreuse consomme 18 fois plus de glucose qu’une cellule normale. Jeûner, c’est asphyxier la tumeur, la rendre vulnérable au poison chimique. Dans le même temps, les tissus sains se mettent en protection, un réflexe de sauvegarde hérité de l’époque où l’humain affrontait de redoutables disettes.

Le jeûne atténue la fatigue sous chimiothérapie

Un premier essai clinique est lancé en 2010 au Norris Cancer Hospital, à Los Angeles. Les résultats sont encourageants. Le jeûne limite les effets secondaires de la chimiothérapie, tandis que les taux de plaquettes et de globules blancs remontent. Longo fait des déclarations optimistes. Mais la guerre entre allopathes et tenants d’une approche naturelle de la santé continue de faire rage. Les cancérologues, en particulier, résistent. Ils sont habitués à demander à leurs patients de prendre des forces à grand coup de fourchette. Pour étayer sa démonstration, le Pr Longo multiplie les études et enrôle des hôpitaux étrangers dans l’aventure. Les résultats, très attendus, tombent au compte-goutte.

En 2018, le journal « BMC cancer » confirme les bénéfices du jeûne sur la qualité de vie des femmes sous chimiothérapie pour un cancer du sein ou de l’ovaire. Fatigue, nausées et perte de poids sont diminués. Prudence toutefois, le jeûne n’est pas compatible avec une frêle constitution ou un cancer trop lourd. D’autres maladies chroniques sont dans le viseur des chercheurs. Soumises à un régime très pauvre en calories, les souris atteintes de maladie inflammatoire de l’intestin voient leur niveau d’inflammation baisser. Un espoir pour la maladie de Crohn ? L’essai sur l’homme débute.

Mark Mattson, du « National Institute on Aging », travaille sur Alzheimer et Parkinson. Le jeûne intermittent en retarde les symptômes chez la souris, et améliore les fonctions d’apprentissage et de mémoire. De là à dire que jeûner rendrait plus intelligent… il y a un pas que les scientifiques s’abstiennent de franchir, dans l’attente de plus amples résultats

Le fléau de la malbouffe

Avec une recherche aussi dynamique, on pourrait s’attendre à ce que le jeûne thérapeutique soit une pratique répandue aux États-Unis. De fait, de nombreux Américains jeûnent régulièrement. Mais seuls, à la maison. Sans protocole ni suivi, dans des conditions qui laissent perplexe à la lecture des forums Internet où se partagent conseils farfelus et photos avant / après la mue corporelle. Le jeûne « home made », riposte populaire pour contrer le poison contenu dans leur assiette ? Les Américains se meurent de leur alimentation ultra-transformée. Plus de 400 000 décès par maladies cardiovasculaires étaient imputés à la nourriture en 2015. Quatre Américains sur dix sont obèses, sept sur dix en surpoids. Les maladies chroniques explosent, l’espérance de vie recule. Et cependant le président Donald Trump, d’une main, distribue pizzas et frites aux vainqueurs du dernier championnat national de football, et de l’autre, creuse les inégalités d’accès aux soins en détricotant la couverture santé des plus démunis. Tout en bichonnant l’industrie pharmaceutique, qui commercialise pas moins de cinq pilules anti-obésité outre-Atlantique.

Des cours de yoga pendant la cure

Voilà qui n’entame pas l’enthousiasme du Dr Alan Goldhamer, ardent promoteur du jeûne thérapeutique en Californie. Le centre qu’il dirige est, dit-il, le plus grand au monde à proposer un jeûne hydrique médicalement encadré (70 lits, 12 médecins, 20 000 patients traités en 35 ans).

On vient au True North Health Center pour l’hypertension, le diabète, les maladies auto-immunes et le lymphome. La cure dure de 5 à 40 jours. Pour 149 dollars par nuit, le patient dispose d’une chambre, d’une supervision pour le jeûne, de deux rendez-vous médicaux par jour et d’ateliers de rééducation (cuisine, yoga, méditation…). « On suit nos patients sur des années, explique le Dr Goldhamer. À la maison, ils continuent sans sel, sans sucre, sans farine. On leur conseille de faire de l’exercice et de se coucher tôt. Plus la personne est motivée, meilleur est le résultat ».

Il existe quatre autres grands centres médicaux spécialisés dans le jeûne hydrique aux Etats-Unis. Pas davantage ? « C’est assez rare car on commence juste à publier nos travaux », justifie le Dr Goldhamer. Les multiples essais cliniques en cours, lorsqu’ils auront abouti, pourraient bien changer la donne. S’ils confirment de façon éclatante les bienfaits médicaux de la diète encadrée, gageons qu’un marché du jeûne thérapeutique verra le jour aux États-Unis. Avant, peut-être, de conquérir le monde comme le fit la médecine scientifique il y a un siècle ?

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